Explore & Anticipe - blog Valentin
  • Livre
  • Article
  • Grafique
  • Valentin

Critique du langage verbal

1/4/2018

 

Les origines

La nécessité d’approfondir cette question m'est venue lors du bouclage du livre Réflexe Virtuel. Ce livre, je le rappelle bref, a pour objectif d'explorer l'émergence d'un nouveau langage composite basé notamment sur le futur de la VR (virtual reality). Cette critique du verbal me vient aussi de ce que je m'interroge beaucoup sur le langage sous toutes ses formes. Il y aurait d'autres sources d'intérêt qui m'ont conduit et me conduisent vers la rédaction de ce propos, mais je considère cette intro/précision déjà trop protocolaire.

Précisions d'intro

Paradoxe il est de critiquer le verbal par le verbal. Mais passé outre ce prime apriori on se rend compte qu'il s'agit d'une autocritique, que le verbal est l'outil souvent le plus à même de révéler ses propres limites. Comme nous sommes souvent nous-mêmes nos plus bons fervents critiques (bande de sado!). L'article se nomme "critique", mais il ne s'agit pas de faire un procès au verbal, ni de dire qu'il est nul, ou mauvais, ni non plus d'encenser en contre-coup un autre média de communication humain, de faire un report, en sorte.
art naif calligraphie abstrait doodle Valentin
Photo

Tu comprends ma langue ?

On pourrait aborder la question sous bien des angles, mais je vais me concentrer sur quelques perspectives qui me semblent les plus probantes ici. Tout d'abord, langage est un mot utilisé pour désigner couramment le verbal. Déjà, on a une restriction, alors que le langage au sens plus large serait un ensemble relativement fermé d'éléments formant par l'habitude une reconnaissance facile. Un peu obscure comme présentation hein :) pourtant c'est simple, le langage oral verbal consiste à émettre (et recevoir) des sons qui se répètent et sont identifiables rapidement (=standardiser). Mais si on émet des sons non standards on ne sais plus les reconnaitre et alors il n'ont aucun sens direct. afuyrtajajjjfretupyb... voyez, ce que ça donne à l'écrit, et bien à l'oral c'est pareil. Si je parle russe à un français (il est peu probable de tomber sur un russophone au coin de la rue) ce que je dis aurait un sens, mais les sons que j'émets ne seraient par reconnus par mon poto fr. Voilà, déjà on est dans le vif du sujet. Quelqu'un qui parle une langue "étrangère" n'est pas incapable de comprendre quoi que ce soit, ni stupide, ni sans âme, ni barbare, ni inférieure, elle ne sait juste pas reconnaitre les standards de sons. Si un avocat parle de son domaine avec des termes propres à son domaine, je ne vais rien comprendre non plus, et pourtant on parle la même langue. Si un poète me décrit une fleur, il est possible que je vois la fleur différemment ensuite alors que pour nous c'est juste "une fleur", "quatre pétales rouge", "pollen". Le poète ne ment pas, et ce qu'il dit n'est pas faux, c'est ainsi qu'il traduit son expérience de la fleur, tout comme l'avocat va nous parler de trucs qui vont nous paraitre total abstraits et imaginaires alors que pour lui c'est très réaliste et sérieux. Juste, on n'a pas les reconnaissances des standards.
Photo

Toutes les autres langues !

Nous voyons donc, qu'en restant dans le langage verbal même il y a quantité de nuances qui fait que nous pouvons ne pas nous comprendre entre nous, et donc parfois rejeter l'autre, dévaluer sa personne, ce qu'il fait, ce qu'il partage. Et ce, sans raison valable au fond. Donc, je veux étendre ici ces principes à l'ensemble des langages que nous avons nous, humains. En fait, oui, voilà, on a tendance à focaliser sur le verbal, en corrélant intelligence et verbal par exemple. Maydee maydee je ne suis qu'un cerveau sur pâte selon les neuro-machin prêtres. Le paroxysme est à l'école où on est évalué et "noté" sur du verbal écrit. Posons-nous deux minutes, le langage est donc toute forme de communication entre individus, donc il n'y a pas que les mots qui "comptent", il y a aussi l'allure corporelle, le visage, les vêtements, les déplacements, les possessions, les productions, les créations, etc. Bien sur nous on se dit qu'on choisit les vêtements parce qu'ils nous plaisent, mais qu'on le veuille ou non ces mêmes vêtements sont porteurs de messages à soi et aux autres. Donc, ceux qui fabriquent et surtout ceux qui  savent assembler/combiner les vêtements entre eux sont dans un langage avec des codes de formes, de contextes, de couleurs, etc. Vous voyez donc ce principe, n'est-ce pas ? Le langage n'est pas que verbal. Et alors voilà qu'on s'ouvre foule de perspectives, le travail non verbo-centré comme la danse par exemple est un langage avec toutes les significations propres à la danse.

Valeur en soi

Aller, on y est, la danse est une langue à part, et les créations n'ont pas systématiquement à être traduites en verbal pour avoir de la valeur. Le verbal peut parfois éventuellement être une porte d'entrée pour comprendre le langage de la danse en VO, mais il n'est pas indispensable, ni toujours absolument nécessaire. On tombe donc dans l'éternelle question de la traduction. La traduction est faire un pont, et rendre accessible plus facilement à des groupes entiers des productions/créations d'un groupe spécifique. Par exemple, les textes anciens de la Bhagavad Gita, ont été traduits moult fois, et parfois même traduits dans la langue même : les propos sont encore accompagnés d'explications donc on à quelque chose de fractal avec de la traduction dans la traduction. Et, une fois lues les traductions de traductions, il faut encore que cela soit interprété par nous, notre identité, que cela s'intègre dans l'ensemble de nos savoirs, expériences, et bref, tout ce qui nous constitue. Et puis, notre esprit nous ressort parfois des interprétations quand on n'y pense pas, et alors on réinterprète des éléments en rétroaction. Et puis quand on relit le même et exact texte on voit les choses encore une fois différemment. Alors il en est de même pour tous les langages non-verbaux.

Photo

Traduire... ou ne pas traduire ?

La traduction, la traduction. J'avais déjà un peu exploré ce point, en lieu de l'article Triméta. Comment traduire un geste en mot ? Mais comment traduire un mot en geste ? Oui, parce que ce n'est pas un phénomène à sens unique. On voit comment on "perd", ou plutôt passe à côté de la richesse d'origine en traduisant. Le plus évident à comprendre (via le verbal) est la poésie en rimes. D'une langue à une autre les rimes se perdent, on a encore quelques sens originaux mais on a quelque chose de tout autre encore. En traduisant on tronque, mais en même temps on ajoute. Si on pense en terme de pureté, alors on ne voudra jamais traduire quoi que ce soit. Mais cela est impossible. Même manger et respirer est traduire de bien des façons. Quand on y songe, passer d'une corrélation à une causalité est une tentative de traduction. Dans quelle mesure cette causalité est en quelque sorte surimposée aux phénomènes. A ce propos je pourrais critiquer la démarche scientifique qui se base parfois que trop sur le verbal, le traduisible. Les chiffres et les mathématiques étant en fait une sous-catégorie ou une branche très spécialisée formellement du verbal. Selon cette démarche une chose est "vraie" si elle est observable (selon ses propres critères). Or, l'observation est perception, or la perception est limitée, or nous sommes limités par nos conditions d'existence, or tout ceci traduit la traduction de chaque démarche. Peut être qu'il y a des éléments qui ne sont compréhensibles que suivant certains médias. Peut être donc, qu'en voulant traduire le "réel" on lui insuffle un surplus et le tronque en même temps.

Changer d'angle, oui :)

Certains traduisent par exemple ce qu'on appelle "amour" en un lot d'équations. Mais est-ce suffisant à expliquer le phénomène ? On peut le réduire en partie à ça oui, mais la réduction est... une réduction. Voyez qu'on essai de voir un phénomène que sous un angle, et qu'il n'y a qu'en passant par cet angle que tout devient explicable. Mais retournons le problème, est-ce que ce qu'on appelle amour n'est pas lui aussi une recherche, une équation non en lettres, en chiffres, en systèmes, mais une équation avec ses propres éléments dans son propre domaine/langage. Alors, selon l'angle de l'amour, on va essayer de tout interpréter selon cet angle unique. Ainsi les maths sont de l'amour, la cuisine c'est de l'amour, marcher c'est de l'amour. Bref, on peut changer d'angle et de média, mais ça ne veut pas dire que ce qui est non verbal est inférieur. Imaginons une science qui perçoit et s'exprime non sur une base essentiellement verbale, mais sous forme de gestes et de danses. Un des langages des abeilles par exemple consiste à faire ce qu'on appelle une danse pour informer ses pairs de ses recherches et de ses résultats. Bien sur, l'abeille ne parle pas le français, mais elle a certainement un langage sonore aussi, même avec des standards, touçatouça. Nous, selon nos codes sociaux actuels, on rigole ou prend pour du "divertissement" ou une vague "culture" artistique ceux qui veulent exprimer les choses en non verbal. Donc, on peut exprimer des choses très profondes et très complexes en dehors du verbal, et sans besoin de faire la traduction verbal en simultané. "Oui c'est jolie, mais qu'avez-vous voulu exprimer ?" NONNN! Ça me fait penser aux enfants qui posent des questions du type : "c'est quoi de l'eau ? Et pourquoi ? Et pourquoi ?" alors que toi tu as saisi parce que le langage se fait par métaphores successives et intriquées et que donc tu saisi le sens sans rester bloquer sur l'élément de média qui sert à désigner.
Photo

Vous avez dit "supérieur" ?

Ce que je voudrais pointer du doigt aussi est la hiérarchisation actuelle des médias/langages prioritaires. Le langage verbal est à coup sûr ancien, mais sous sa forme "raffinée", c'est assez récent probablement. Donc il est possible que pendant des millénaires on communiquait vraiment davantage par l’entièreté du corps, les postures, les déplacements, et seulement quelques fois par le verbal. Et puis, la situation a du s'inverser et le verbal a pris son essor pour devenir l'objet principal de notre attention (sans bouter/supprimer les autres canaux de communication hein). On a tendance à corréler le verbal avec l'intellect (et l'intellect avec l'intelligence), mais ce n'est pas si vrai que ça. Aujourd'hui on a jamais autant écrit de toute l'histoire de l'humanité, et tous nos écrits ne se révèlent pas des interrogations profondes, loin de là. Ou du moins, si, mais pas selon l'angle unique de l'intellect. Vous savez, ça me fait sourire quand je lis des gens considérer comme forcément supérieur ce qu'on appelle la littérature comparée à d'autres formes comme la peinture, ou le jardinage, ou le cinéma. Bien sur on peut exprimer (traduire/créer) des choses folles avec le verbal écrit, et sa puissance peut être sur nous-mêmes très forte, mais ce n'est pas l'unique média, ça ne le sera jamais, et ce média n'est pas supérieur. Il est supérieur sur certaines caractéristiques, oui, mais pas sur toutes les caractéristiques. De ce fait, pareil pour chacun des médias.

Identités hybrides

Prenons un exemple. Je suis Valentin et l'ensemble de ce que je fais communique quelque chose, mais je reste moi, en moi-même. Yep, je sais ça sonne très philousophie :p. Donc si je veux traduire mon expérience d'être moi, je peux tenter de faire des ponts via différents canaux. Ici, c'est le verbal, mais vous avez aussi des dessins, des photos. Est-ce suffisant à traduire mon expérience de vie ? Non. Donc on voit bien qu'il y a un rapport qui reste en soi, qu'on peut tenter de transmettre, de décrire, donc traduire, mais qui ne sera jamais exhaustif, ni parfois/souvent proche. Parce qu'en nos conditions ordinaires on ne peut pas être l'autre en même temps que soi. On peut considérer l'autre comme une extension de soi pour percevoir et recevoir et produire certaines choses, mais on ne peut pas être l'autre. Oui, c'est complexe car on s'hybride de plusieurs façons avec la proximité. Question identité, comme je l'abordais dans l'article sur le self-génératif, on s'hybride avec les outils et les technologies diverses, même si dans la matière à l'état solide telle qu'on la perçoit, on est séparé. La proximité dans un couple ou des amis, des collocs, peut aboutir aussi à des échanges verbaux, sensoriels certes, mais aussi d'un bel et vaste ensemble de ce qu'on appelle micro-organismes (cf. halobionte). Bref. On voit que le simple fait de vivre, d'exister nous fait entrer dans des cycles perpétuels d'échanges, que ce soit conscient ou non, intentionnel ou non, et que ces fameux échanges ne se produisent que de manière marginales dans le verbal, bien qu'on ait augmenté énormément son usage (sa proportion) dernièrement.
dessin schéma identité hybride

Facilités d'usage

Le verbal oral a ceci de puissant qu'il ne nécessite pas d'outil pour commencer à l'utiliser. On peut parler partout et de tout temps si on veut, je veux dire en direct, en visu, in situ. Mais pour affiner cet outil on a nécessairement besoin de support écrit. C'est à dire d'implanter ces vibrations d'organes vocaux et auditifs en de la matière solide et séparées physiquement de nous (ce qui ne doit pas être corrélé systématiquement avec une notion d'objectivité pour autant). Sans écrit on ne peut pas affiner notre langage verbal, pas l'enrichir, parce que des mots se perdraient à la mort de chaque individu, ou groupe, voire même tout simplement par l'oubli, le peu d'usage à un moment donné de certains mots. L'écrit permet la diffusion du langage verbal et d'augmenter les possibilités que cela donne ensuite en terme de perceptions et de communications, et donc évidemment de partage et accumulation d'informations et donc de rétro-actions sur notre environnement et nous-mêmes. C'est un propos que j'ai un peu développé dans le livre Réflexe Virtuel. Aujourd'hui je vais plus loin en disant que les pensées/idées ne sont pas que des productions propres à nous individus, mais qu'elles sont aussi en partie de l'ordre de la perception. Les mots agissants alors comme des outils étendant nos perceptions et nos usages, nos échanges. Dans une optique dirons-nous plus "spirituelle", je considère même les pensées comme étant des formes de vie à part entière. Si on considère tout comme étant uniquement une production de nous-mêmes c'est bien qu'on est encore dans cette perspective productiviste et mécaniste dans laquelle est née beaucoup de nos modèles d'études. Le "je pense, je suis" (Descartes représente!) traduit bien cela d'être producteur de pensée. Or, je pense qu'on est aussi producteur de pensées qu'on est producteur des plantes que l'on cultive, ou qui existent tout simplement (mutualisme, tout ça).

Le standard vous écoute

Mais le verbal, même "augmenté" par l'écrit, et aussi tout ce qu'on y insuffle (poésie, créations de mots, littérature, mots techniques, scientifiques, etc.) reste une certaine traduction de notre existence. Elle est donc partielle - ce qui est "normal". Les principes du type : "ce qui se conçoit bien s'énonce clairement" participent de cette croyance absolue envers le verbal. Je les appelle les verbalo-centrés. Alors, non, non et non, on peut parfaitement bien concevoir une chose, mais être incapable ou très maladroit à l'exprimer en verbal. Par contre on peut en probable l'xprimer en danse, ou en peinture, musique, calligraphie, gestes, schémas, etc. La question est alors est-ce que l'autre sera dans la mesure de saisir une belle portion de ce que je souhaite exprimer via ces canaux ! Donc, on en revient au standard. Le standard permet une sorte d'économie pratique pour l'échange surtout sur le court terme de l'échange. Donc quand on décide que le verbal sera le standard, ce qui se fait à l'école et partout dans l'administratif, l'affectif, etc. Alors, bien évidemment, il y a quelque chose qui s'apparente à de la prophétie auto-réalisatrice, au plus on force massivement les gens à apprendre la langue sous une forme précise et "officielle", au plus on va effectivement avoir du mal à communiquer autrement. Ce standard pratique est donc effectivement "pratique" mais nous "handicape" aussi sur tous les autres domaines à trop centraliser autour d'un seul média. Mais ça pourrait être le même cas de figure avec un standard graphique et non verbal hein.

Ce n'est pas du divertissement !

On dit parfois "une image vaut mieux que mille mots". Hm, je serais prudent sur cette affirmation tonitruante. Oui, en certains contextes c'est vrai, mais d'abord ça ne concerne pas tous les contextes, et même dans les contextes où ça "marche" une fois, on ne peut pas être sur que ça puisse marcher tout le temps de la même et exacte façon. Oui, le "fais-moi un dessin" peut marcher, mais mais mais... Par contre quand on est verbalo-centré on peut se sentir offusqué quand on fait un dessin à la place d'expliquer par des mots. C'était la vindicative éruction "tu veux que je te fasse un dessin !?" sous entendu t'es trop bête pour comprendre avec des mots donc je reviens à du primitif dessin. Lol. Sans commentaire. J'espère que vous voyez comment cette logique est absurde et condescendante illégitime. Parce que l'écrit c'est du dessin standardisé et répétitif, et l'oral c'est du dessin sonore. Voyez, c'est une question de perspective, et c'est bien mon but dans cet article de pointer du doigt toutes les ouvertures possibles dans les différents médias, et qu'on n'a pas/plus à se faire un devoir de se concentrer sur le verbal. Ceux qui s'expriment dans des médias différents ont autant de valeur et peuvent pousser la "réflexion" aussi loin que dans le verbal. Juste, on a pas appris (ou désappris!) à reconnaitre leur valeur en dehors de contextes mondains ou snobs qu'on relègue à de l'inutile ou du "divertissement". Oh oui, tous les gens qu'on désigne sous le terme "artiste" ne sont que dans de l'errance de divertissement et un délire égotique toute leur vie, c'est bien connu. Ah ah de quoi s'arracher les cheufeux.

De la diversité du réel

Alors, dans ce paragraphe je vais aller à la charge furax contre les thérapeutes en tout genre. Encore à ce jour beaucoup de thérapies se font uniquement sur du verbal. Alors ça peut être "utile" ou "fonctionner" un temps, sur certaines personnes. Mais si on ne veut pas parler, si on n'est pas doué pour ça, toutes ces thérapies sont là simplement pour nous rendre encore plus dépendant du verbal érigé en totem ou veau d'or. C'est le : parce que tu vas réussir à bien exprimer tes émotions, tes pensées, tu vas vers la guérison. Mais ne pas savoir s'exprimer en verbal n'est pas une maladie. Et même avant ça ne pas vouloir "s'exprimer" tout le temps n'est pas une maladie non plus. Tout ceci rentre dans une logique démonstrative, plutôt fort symptomatique d'où et quand est né notamment le psychologisme. Et c'est pareil dans le milieu dit du "travail", avec les entretiens d'embauche qui se basent énormément sur du verbal (posture et vêtements aussi). Si quelqu'un "s'exprime" très bien selon les critères attendus des juges, il a peut être plus de chances d'être embauché alors que ça ne garanti en rien de façon certaine son aptitude au "travail" concret ensuite. Et avoir recours à des tests écrits standards ne change rien à cela, ça déplace à peine l'aptitude, pour au final se retrouver dans la même impasse. Donc toutes ces thérapies sont beaucoup de l'ordre de la prophétie auto-réalisatrice. Par leur simple existence elle nous mettent en tête l'idée qu'on puisse avoir un problème, donc si on est attentif à d'éventuels problèmes, on augmente les chances de focaliser dessus et d'ensuite donc d'aller vers ces thérapies qui souvent ne font que renforcer l'idée de problème là où il y a une particularité et une divergence de la "norme" (qui n'existe pas).

Parlons un peu, pour voir

On ressent un besoin fort de mettre des mots sur pleins de situations, choses, personnes, même dans l'évidence la plus totale on rajoute son mot. Et lorsqu'on se fait cette remarque on pourrait être frappé d'une impression qu'on ne peut pas parler, que parler est inutile, qu'on ferait mieux de se taire. Alors on se sentirait diminué car oui parler occupe l'espace, le temps, l'esprit, la langue, les oreilles, etc. Alors quoi faire de tout cet espace soudainement libéré ? Le vertige, tant de temps ! Cela me fait penser à la pratique du jeûne alimentaire que j'ai un peu essayé, ce qui est frappant n'est pas l'ampleur de la faim mais surtout le temps que cela dégage soudainement. Alors un jeûne verbal, c'est un peu la même chose. Au travail, entre amis on attend de se parler, alors se voir sans se parler nous parait difficile. Bien sûr on va penser que la relation physique sexuelle par exemple c'est ne pas parler verbalement et oui, mais à ce moment là toutes les autres formes de relations sont exclues de la communication, du lien. Sans vouloir contrarier Freud, tout n'est pas sexuel.

Souffler parfois

Bref. Donc le langage verbal est aujourd'hui important. Mais on a tendance à se reposer sur des formes de langage très basiques à être très conservateur avec les mots. On a aussi une sacralisation du verbal. On prend les mots beaucoup trop au sérieux parfois (prescripteurs moraux : politiques, philosophes, stars, religieux, psychologistes, sociologistes, économistes, patrons, etc.). Je veux dire, oui le verbal est primordial et super intéressant pour pleins de raisons, mais on a tendance à trop écouter ceux qui parlent, à prendre au mot chaque mot, même dans des circonstances dérisoires. C'est comme ça que l'on arrive à des quiproquos, des querelles stupides pour des broutilles. Bien entendu, n'allez pas comprendre que toute entreprise verbale est vaine par essence. La littérature, le parler, la poésie sont des piliers pour le verbal. Bien sûr, toute histoire racontée n'est pas de la littérature intéressante. Comme je l'expliquais dans un article sur la lecture, l'acte de lecture prime sur le contenu, de même l'acte de parler prime sur le contenu. Donc les "banalités" ne sont pas tant que ça des "banalités", parce que le langage permet aussi de souligner les évidences, qui ne sont pas de tout temps évidentes pour tous. Ce qui ne veut pas dire que le contenu n'a aucun intérêt, au contraire ! Ah ah ça fait beaucoup de nuances à prendre en compte :)

Troubles corrélations

Ce qui est marrant aussi est qu'on corrèle le verbal souvent à ce qu'on appelle intelligence et surtout un comportement d'intellect. Un mot d'un registre un peu plus élevé ou inhabituel dans un contexte différent nous fait vite passer pour "chelou", et "intello", "tu réfléchis trop", "snob", "littéraire"... Alors que non ce n'est pas le verbal qui nous rend intelligent, ni nous fait nous comporter comme des intellos parfois pour certains. C'est encore une fois le fait qu'on a voulu créer cette corrélation par le parcours scolaire tout ça. Parce que le verbal était perçu comme la maitrise de soi, de ses ardeurs : "bien cordialement". Et en effet, le verbal nous permet de mettre en distance aussi bien physique que mentale quantité de personnes et de choses. En distance et en même temps rapproche, crée une connexion au potentiel plus profond, plus intime, d'esprit à esprit. En fait, il y a une plus grande gamme d'interaction possible, une plus grande volatilité aussi pouvant améliorer grandement comme fort détériorer les relations. Quelque part, comme tout média ça nous rend "captif" et dépendant. Parfois on a une folle envie de parler ou d'écrire (mais aussi de dessiner, de composer, de jouer, etc.) et les mots parlent pour nous, on ne les retient pas ou plus. C'est quelque part le constat de la rétention que faisait Freud (désolé de le citer, mais il est une star du domaine de la réflexion sur le verbal), bien qu'il se soit restreint au média verbal lui aussi. Mais lui il faisait la causalité : dans une société on est obligé de se retenir, donc le langage verbal dans un contexte de "thérapie" permet de ne plus se retenir, ou moins, mais dans le média verbal seulement, et dans ce contexte seulement. Cela implique l'idée que nous serions des "sauvages" par nature et que malgré les apparats on reste des sauvages qui devons être domestiqués. Je ne crois pas au sauvage. Je ne crois pas qu'avant forcément, tous on cédait à toutes les pulsions les plus tabous. Par contre, je crois qu'il est possible que le langage verbal nous a rendu plus conscient de ces pulsions et donc cela crée un "stress".

Faites du bruiiit !

Ce qui est génial aussi est à quel point on peut croire ce qu'on se raconte, et ce qu'on raconte aux autres. Bon, la perspective est biaisée par la structure syntaxique, mais en fait on ne se parle pas vraiment à soi-même car les pensées ne sont pas nous, ou plutôt pas de notre production. Vous savez, en vérité on ne peut quasi pas ne pas se parler en permanence. Quand on lit un texte, on lit dans sa tête, donc on met sa propre voix sur le texte venant d'une autre personne. Et, qu'on en soit conscient ou non, on se juge et se parle très très souvent. Le verbal peut concentrer, focaliser notre attention de manière remarquable. Vous allez me dire oui, mais la télé aussi. C'est surtout vrai quand il s'agit de gens qui parlent. Autant on peut fermer les yeux, autant on ne peut pas fermer ses oreilles. En fait, le verbal peut être parfois si puissant qu'on tourne à vide. On passe d'une réflexion et d'un sujet à un autre, mais rien n'en ressort pour nous d'utile et de concret. C'est comme faire gronder le moteur d'une voiture alors qu'on fait du surplace, on écoute à fond les lobes, on à l'impression qu'il se passe quelque chose, on s'approprie le bruit à notre puissance mais au final rien. Ce qui est marrant donc est ces gens qui critiquent ce qui est appelé "technologie" ou "virtuel" alors que le verbal correspond totalement aux deux domaines, ce sont des extensions du langage.

Question de perspective, pardi !

Après ceux qui écoutent de la musique pour soit-disant échapper au verbal, ceux qui encensent la danse comme quelque chose de plus "concret" que les mots, il y a encore la philosophie de l'action, où l'on assène : "agir ou parler". Le ou version exclusif, soit on agit, soit on parle. Mais pas les deux en même temps. D'abord, parler est agir, donc d'emblée on nuance un peu ce principe rigide visant à dévaloriser sans concession tout un pan de communication, de compréhension et d'expression. Ensuite, oui, il est vrai que parfois on peut rester dans du verbal sur une chose qu'on voudrait faire dans un autre média. Exemple : je veux écrire une fiction très spirituelle, très marquante... mais je ne fais qu'en parler, aussi bien dans ma tête comme une rengaine permanente qu'aux autres dont on affiche ses ambitions. Parfois cela est nécessaire en préalable à la production, mais parfois non et on reste donc bloqué dans ce verbal mental et externe. On n'arrive pas à traduire ça dans le média qu'on voudrait. Donc oui, dans certaines circonstances on ne peut pas parler et agir en même temps, "agir" étant à comprendre comme parler dans un autre média que le verbal. Néanmoins, insistons sur le fait que l'action (le non-verbale) ne prime pas systématiquement sur le verbal. C'est juste une autre forme d'action, dans un autre média.

Mouvement rapide & effet lent

 Maintenant je voudrais pointer du pied une espèce de décalage qui nous concerne. On a des perceptions qui peuvent s'avérer ultra performantes greffées sur une structure faible et une durabilité faible. Hum ya-ya ça sonne abstrait dit comme ça pas vrai ? Bon, c'est pourtant simple, on peut réfléchir très vite, imaginer mille choses en un rien de temps et ce sans bouger, même sans stimuli extérieur. On peut réfléchir sur le sens de la vie, sur les potentiels de tout et n'importe quoi, mais pourtant, dans cette dimension matérielle qu'est la notre, en nos conditions, ces capacités folles n'ont pas d'effet, ou de manière extrêmement marginale. S'en suit souvent différentes versions de déception, de fatalisme, de renoncement à la réflexion, à l'imagination, à la recherche. Parce que de façon binaire on voudrait une corrélation, voire une causalité entre ce qu'on imagine et ce qui se produit ensuite. C'est une thématique qui flirt avec la notion de progrès qui sera développée dans un futur proche. Donc, il y a aussi le fait que nous ayons un physique plutôt fragile rapport à nos capacités. Et d'ailleurs, c'est ce décalage qui crée le mouvement/dynamique, car on voudrait rapprocher ces fameuses capacités informationnelles de nos capacités réelles, c'est ce que font ce qu'on appelle vite fait les technologies (dont langage verbal). Si on veut apprendre sur un domaine mais meurt avant d'arriver à un niveau/étape voulu alors il faut passer du temps à transcrire ça pour que ce soit fort bien compréhensible pour les chercheurs suivants. Donc retour au standard en tant que nécessité pratique (lié à nos conditions bio).

Métaphysique intégrée

Un point qu'on occulte régulièrement est que le langage verbal reflète des conceptions métaphysiques étranges et pas toujours raccords à notre actualité. Par exemple le découpage SVO, pour Sujet Verbe Objet. Ce découpage de l'existence place au cœur l'action et donc le verbe (que ce soit imagé ou non). Mais aussi on découpe la réalité en d'un côté le sujet et de l'autre l'objet. "Je Suis Humain" : le je sujet, le verbe être et l'objet humain. Le sujet se sépare de l'objet, se distingue. Et donc il y a création d'un sens unidirectionnel. Le sujet est agissant et l'objet s'intègre, reçoit l'action du sujet. Bien sur, ensuite on peut moduler ce découpage, mais il y a l'absence de la simultanéité sujet/objet, où l'objet est tout autant agissant que le sujet, la réciprocité et l'interactivité en quelque sorte. Et peut être même que le verbe est agissant en lui-même. Toutes ces nuances réelles que le langage occulte en découpant quasiment toujours de la même manière, suivant le même schéma la réalité. Ceci pour des raisons pratiques certainement en partie. Mais ce ne me semble pas sans incidence sur notre façon de penser et de percevoir le monde. L'existence du sujet bien marqué est ce qui peut faire naitre notre sentiment d'individualité elle aussi bien marquée. A force de dire JE, je finis par croire en moi, en mon existence, en ma valeur, en ce que je fais, ce que je dis, ce que je vois, etc. A croire de façon verbale et un brin excessif parfois en soi. C'est de nouveau un peu la prophétie auto-réalisatrice de j'existe j'existe j'existe, comme je l'avais suggéré dans l'article sur ce que j'appelle la triple localité.

Progressif & disruptif

Un côté "disruptif" dans la lecture et les échanges, qui se fait un peu au hasard (selon nos perceptions). Combien de fois ça m'est arrivé de comprendre consciemment une idée des années après l'avoir lue, et de redécouvrir encore une autre facette de cette idée après et après. Le lecture et toute forme d'apprentissage contredisent la linéarité des effets. Dans les institutions scolaires on veut faire un parcours progressif avec des étapes standards et un à un, une chose après l'autre, alors que dans les faits c'est très différents. Ce qui ne revient pas à dire que rien n'est progressif, juste que ce n'est pas linéaire dans les effets. D'ailleurs, on le voit bien aussi dans l'écriture, on passe d'une lettre à une autre, et de mot en mot, de concept en concept. La présentation d'ensemble a beau se faire sous forme linéaire dans un seul sens, les yeux sautent et ne sont pas en contact permanent et linéaire avec le texte. Les effets suivent ce même processus, mais en plus amplifié. Les mots ne sont pas des choses figées mais fonctionnent comme des écrans, ou des toiles, en dynamique, en évolution.

Déterminismes physiques

Le verbal a une composante écrite qui a refaçonné et augmenté toute la structure langagière (auparavant surtout orale et posturale). Donc oui, la base de ce que nous appelons grossièrement langage est indexée avant tout sur le DÉPLACEMENT SPATIAL. Ce déplacement spatial, qui consiste surtout pour nous bipèdes à aller de l’avant, est lui aussi indexé sur notre MORPHOLOGIE. Nos jambes se tiennent et se plient d’une certaine façon. "Aller vers l’avant" est donc simplement obéir à cet ordonnancement formel. Le sens de la vue est lui aussi majoritairement dirigé vers un CHAMP RESTREINT. L’alliance de la locomotion-moteur et du sens de la vue renforce les deux et forme un ensemble donnant une impression unitaire : la DIRECTION. La mesure primordiale est le pas, l’enjambée. Le début en statique, et la fin lorsqu’on pose le pied vers l’avant. Il y a un début et une fin à ce processus. C’est le déplacement. Comme lorsqu’on pose la première lettre d’une phrase, pour terminer sur un point. De même, on utilise le langage pour dire qu’une chose est supérieure à une autre. Même si c’est une chose totalement abstraite, on base cette valeur-jugement de « supérieur » sur les sens. Si je suis grand, je vois que tu es plus petit, plus bas, tout comme les enfants sont plus petits. De là on en déduit des choses supérieures à d’autres. Pareil, dans le langage on a un sujet un verbe et un objet. Le sujet est agissant, il est par conséquent, par défaut, supérieur à l’action et à l’objet. De cette chaine d’éléments primordiaux (articulation-syntaxe) on voit qu’on se considère comme unique, comme une entité bien délimitée, comme supérieur et comme ayant une direction, ou destination existentielle. Le simple fait de terminer une phrase formellement, renforce l’idée qu’il y a une fin. De même que lorsqu’on ne parle pas, cela induit que nous n’existons pas encore, que nous n’avons pas commencé. Le langage est donc linéaire tout comme le pas que nous faisons. Mais cette linéarité est indexée sur notre morphologie moyenne et les lois sensibles/perceptibles de la physique terrestre à sa surface air-terre. Ah ah rien que ça ! Quel barbare je fais avec ces flopées descriptives... Par tous les vents !

Question topologie mentale

La notion de hiérarchie est très parlante. La hiérarchie est, dans la majorité des cas, comprise comme une stratification verticale, avec ce mouvement linéaire toujours. Le plus bas serait inférieur… selon le référentiel haut, et donc très visuel. On a donc ces expressions de « s’élever » qu’on retrouve dans la hiérarchie sociale, dans la hiérarchie religieuse aussi. L’expression « au-delà » est très terre-à-terre ironiquement à ce qu’elle sert à faire comprendre. Désigner le « ciel » pour exprimer l’idée d’une supériorité existentielle. Les tours « gratte-ciel » pour exprimer l’élévation humaine. La notion de « sous-terrain », ou de « bas-fonds », est aussi intrigante tant elle reflète que ce qu’on ne voit pas serait forcément « inférieur » en valeur, et donc vil, sale, etc.

De même, notre notion de « vie » ou de « biologique » de « vivant » est indexé sur notre vision de ce qui se meut. Le mouvement visuel, sensible, fait la qualité « vivant ». Car nous voyons que nous nous déplaçons dans l’air, ou plutôt dans les airs, un élément que nous prenons pour « léger » donc, donc nous nous déplaçons dans la légèreté. La terre est lourde, l’eau de la mer aussi. L’enfant est léger et il a tendance a beaucoup bouger, ainsi sont indexées les notions de mouvement = vie, et légèreté = élévation. Ce qui est léger est ce qu’on peut facilement appréhender, faire bouger, manipuler, changer, d’une manière physique. C’est une qualité « supérieure » car si on balance un objet en l’air, l’objet s’élève et on s’élève aussi par extension.
De même, la vitesse fait, selon nous, souvent la qualité « vivant ». Mais, bien entendu, il faut qu’on ait l’impression de vitesse, car si une chose va trop vite pour nos capacités on ne la percevra pas. Il faut qu’on fasse partie, qu’on soit intégré ou qu’on ait l’impression d’être les acteurs de ces éléments rapides. D’où nous rejoignons l’idée de sujet agissant. Le sujet agit physiquement donc le sujet existe, donc l’action existe, donc le sujet agit. Une tautologie, une autoréférence permanente.

Pour revenir à l’idée de hiérarchie, on est, notamment avec le langage, dans une idée toujours très linéaire. C’est donc la géométrie simple de la ligne qui dirige en grande partie comment nous percevons consciemment-culturellement nos pensées et nos actions. Nous écrivons en ligne aussi, nous lisons donc en ligne, nous nous alignons sur certaines personnes, certains éléments, comme les points lumineux du ciel nocturne (étoiles) deviennent des lignes dans nos esprits car nous les relions, comme les oiseaux qui volent/migrent parfois en lignes tels les cormorans et les canards. Des lignes. La ligne.
Photo
Photo

Parler volume

Mais on ne pense que très peu en volume, en réseau, en cycle. Car le volume s’appréhende surtout par le tactile et le déplacement-effort physique et peu par le visuel (du moins que partiellement). La pensée est fortement corrélée avec le linéaire des lettres et des phrases-lignes. Quelle est la hiérarchie d’un nuage ? Il n’y a pas de supérieur et inférieur. Le linéaire reste du linéaire, mais nous distinguons le linéaire horizontal qui est l’égalité, la quantité, du linéaire vertical qui est l’asymétrie, la qualité. On reprend souvent cette linéarité verticale pour une idée de hiérarchie verticale, de supériorité. Ainsi s’élever en foi sous la religion dominante, et s’élever en « réussite » sous l’économisme. Mais ce sont des images, des calques de notre réalité physique vue avec et sous notre petit référentiel formel. De même qu’il y a discontinuité de la vue par les clignements permanents d’œil, il y a discontinuité par les pas lors de la locomotion pédestre. Il y a discontinuité entre les étoiles du ciel la nuit. Discontinuité entre les lettres et les mots et les paragraphes. Mais nous voyons un mouvement entre ces points et états différents. Et par mouvement nous y voyons une qualité de « vie » et donc une supériorité, et donc rapidement aussi une intentionnalité locale, et donc un sujet agissant.
 
Un moyen simple d’observer ces biais est d’inverser des images, ne serait-ce que lire en oblique, ou à l’envers, quelques mots, peut s’avérer compliqué, désagréable. Alors imaginez voir tout un film à l’envers. Avant on écrivait en boustrophédon, c'est-à-dire des deux sens gauche-droite et droite-gauche. Mais cette façon de faire a disparu. On est toujours fort obsédé par la lisibilité universelle, en corrélant mentalement le caractère de lisibilité avec l’uniformisation conventionnelle. Le concept de causalité est linéaire (en ultra-local).

L'éthique dans tout ça ?

Qu’est-ce qu’un langage ? On part souvent du principe, dans nos sagesses populaires, que tout se résout par la communication. Affirmer cela sans nuance est plutôt dangereux. La guerre, frapper et tuer une personne est une forme de communication. Alors est-ce qu’il faut dans ces cas là privilégier la communication ? On peut légitimement avoir quelques réserves à ce sujet. Plutôt que de dire qu’il faut communiquer, mieux vaudrait dire qu’il faut savoir parfois ne pas vouloir communiquer et/ou alors changer de média. On peut alors se dire que changer de média est forcément la « solution » au problème de ces types de communications. Ce serait aller un peu vite. Est-ce qu’un mot ne fait pas aussi mal qu’une blessure physique parfois ? Certes il n’y a pas atteinte à l’intégrité physique, mais alors l’intégrité morale, émotionnelle et intellectuelle de la personne n’aurait aucune importance ? Cela parait étrange. Si on traduit un coup de poing en insulte, d’accord il n’y a pas de blessure physique, mais est-ce pour autant mieux que de recevoir un coup on va dire spirituel ? Les insultes c’est comme les coups physiques, si on est habitué ça peut passer un temps, mais si on est relativement protégé pendant une longue période, ça fait d’autant plus mal. Bien entendu il y a le cas particulier où l’insulte est une sorte d’amabilité. Certains s’appellent mutuellement "gros sac" ou "ma petite merde" par exemple et c’est une façon humoristique d’être familier et de communiquer. L’intention reste dans un jeu de langage où les deux sont complices et connaissent (souvent implicitement) les règles. Mais un même mot peut faire mal ou ne rien faire en fonction de qui le prononce, quand, dans quelles circonstances, avec quel ton, etc. L’intention n’est pas tout non plus car imaginons avoir l’intention d’être sympa lorsqu’on est face à une personne venant de perdre un proche et qu’en fait nous sommes maladroits et disons des choses qui font pires que mieux. Donc, brièvement nous avons vu que la communication n’est pas la solution à tout, ni l’intention.

communiquer en permanence ?

Mentionnons aussi la hiérarchie mentale par défaut que nous avons des différents médias et supports de communication. Nous mettons la com physique souvent en dessous de la com verbale, et la com orale en dessous de la com écrite (rapport à un jugement sur la profondeur ou l'intelligence ou la précision du propos émis). Au sein de l’écrit nous accordons aussi une hiérarchie. Un sms n’a pas autant de valeur qu’une phrase lue dans un livre. Une information écrite dans un journal national vaut plus que la même information dite par une personne lambda. Vous voyez ce dont il est question, n’est-ce pas ? Bien entendu ces échelles de valeurs ne sont pas forcément intentionnelles, nous les perpétuons par défaut sans y penser. Bien entendu, aussi, ces hiérarchies sont la règle générale et on peut toujours trouver des situations qui prouveraient l’inverse. Mais quelle est la proportion et la fréquence de cette échelle de valeur rigide ? Sans faire de calcul, on peut vite se rendre compte de nos biais à cet égard.

Dans la communication il faut donc se méfier de nos attributions de valeur par défaut. Car en accordant plus de valeur à une information en fonction de qui et quoi le dit, on peut rejeter injustement des informations pertinentes et avec une vraie valeur, aussi et surtout rejeter des individus sur des critères très arbitraires. Vouloir communiquer en rejetant un individu et un support avant même d’avoir commencé c’est plutôt ambigu. Si on veut vraiment communiquer avec l’autre il faut donc accepter de perturber ces échelles de valeurs par défaut qu’on a tous dans nos têtes et sur le bout de la langue. Si une personne ne sait communiquer avec l’autre que par le corps, peut-on refuser de communiquer avec cette personne ? Alors, oui si nous ne savons pas communiquer par ce biais et que donc on s’expose à des incompréhensions, de mauvaises interprétations de maladresses, mieux vaut être prudent ou rejeter la communication. On donnera alors l’impression de rejeter un individu en particulier alors qu’il s’agit au contraire d’un respect mutuel, de se préserver chacun d’un échange stérile et/ou conflictuel. Donc si on cherche la communication en tant que vertu d’échange et d’ouverture il faut avoir les moyens de cette prétention. Sait-on parler corps ? Sait-on parler art ? Sait-on parler jargon ? Sait-on parler émotion ? Sait-on parler concept ? Ce sont des questions préalables nécessaires à la vraie communication en tant que vertu d’échange et d’ouverture. Sinon, mieux vaut s’abstenir d’agiter de grandes vertus et idéaux si ensuite nous les contredisons dès la prochaine rencontre.
 
Nous venons de voir donc que la communication n’est pas toujours souhaitable, qu’elle peut être même « mauvaise ». Nous avons vu que ni une intention, ni un idéal, ni une vertu ne sont des excuses valables au mal causé par une communication ayant échouée. Et enfin que nous avons des filtres mentaux qui nous conditionnent et peuvent facilement nous empêcher de communiquer librement, nous poussent à rejeter des individus sur des critères superficiels et injustes.

(re)tour d'horizons

Nous y sommes ! Après tous ces entrelacs critiques à propos de ce cher verbal, nous avons vu donc que le verbal est un média parmi un vaste panel de médias, qu'il n'est pas central mais s'inscrit dans un écosystème de médias dont tous varient en permanence. Nous avons vu l'intérêt du standard de forme, mais aussi ses limites. Nous avons vu qu'il y a une certaine dépendance au domaine du média, et que donc tout n'est pas traduisible, ni que la traduction ait toujours une valeur ajoutée, et qu'on peut donc resté captif d'un média sans qu'il y ait valeur ajoutée. Nous avons vu encore que le verbal est fortement structuré sur la base de nos conditions physiques de perception, mais qu'il reflète aussi des conceptions métaphysiques dans ses plus fondamentales bases.

Redistribuer les cartes

Pour bien insister : faire des gestes ce n'est pas juste exprimer son corps, c'est aussi penser par le corps (muscles, tendons, os). Dessiner ce n'est pas juste s'exprimer, c'est penser par le geste, par les formes. Jouer/composer de la musique ce n'est pas juste s'exprimer, c'est penser dans le rythme, dans le geste. Tout ceci se suffit en soi, et on n'a pas à traduire ça en verbal pour donner de la valeur de profondeur, d'intelligence à ce qui est partagé. On peut donc parfaitement penser des choses très complexes sans le support verbal. Il y a même quantité de pensées qui expriment des choses plus complexes et profondes par des gestes, des sons, des déplacements, que le tout mot.

+ loin >>>

Arrivé jusqu'ici - bravo! et merci :) - on pourrait se questionner sur la pertinence de cette critique du verbal. Oui, en fait, on le voit déjà à l'œuvre, on produit de plus en plus de communication en geste par le sport, les arts, des néo-rituels, mais aussi en visuel par les clips, les "stories", les films, mais aussi en sonore par la démultiplication des productions et des styles, etc. Bref, voyez qu'on communique de plus en plus par d'autres médias que le verbal, ce qui va dans le sens du diagnostic de mon livre Réflexe Virtuel. Néanmoins, on les voit encore trop comme moins profonds, moins intelligents, moins précis que le verbal. Ce qui est injuste. Je veux dire, bien sûr qu'on valorise des stars de médias non-verbaux, mais on les valorise comme du beau divertissement et pas comme quelque chose ayant une valeur vraiment "concrète", absolument "utile" (hors distraction). Je vous encourage donc - si vous le voulez bien - à cultiver une attention à l'ensemble des médias, du moins à ne pas les classer systématiquement inférieures à votre média de prédilection. Même de temps en temps, cela suffirait à avoir un effet long terme et global m'est avis !
0 Commentaires



Laisser un réponse.

    Flèche carré noir
    carré noir barre
    carré noir signe
    Carré noir flèche
    Flèche carré noir
    Flèche carré noir

    Catégories

    Tout
    Alimentation
    Appli
    Architecture
    Art
    Auto-publication
    BAM
    Champignon
    Cinéma
    Courir
    CQFD
    Cuisine
    Ecologie
    Economie
    Ecrire
    Emotion
    Fiction
    Industrie
    Infusion
    Internet
    Langage
    Livres
    Loco Motion
    Loco-motion
    Logique
    Maintenant
    Meditation
    Mode
    Narration Symbolique
    Nature
    Plante
    Poesie
    Posture
    Présence
    Present
    Question
    Rêver
    Sagesse
    Science
    Social
    Spiritualite
    Technique
    Transhumanisme
    Twitter
    Ville
    Yoga

    Réflex Virtuel Chronique d'un langage émergent Livre
    Améliorer le blog ?

    Archives

    Janvier 2022
    Décembre 2021
    Novembre 2021
    Septembre 2021
    Août 2021
    Juillet 2021
    Juin 2021
    Mai 2021
    Décembre 2020
    Novembre 2020
    Juillet 2020
    Juin 2020
    Mai 2020
    Avril 2020
    Mars 2020
    Février 2020
    Janvier 2020
    Octobre 2019
    Août 2019
    Juillet 2019
    Juin 2019
    Mai 2019
    Avril 2019
    Mars 2019
    Février 2019
    Septembre 2018
    Juillet 2018
    Juin 2018
    Mai 2018
    Avril 2018
    Mars 2018
    Janvier 2018
    Décembre 2017
    Novembre 2017
    Septembre 2017
    Août 2017
    Juillet 2017
    Juin 2017
    Mai 2017
    Avril 2017
    Mars 2017
    Février 2017
    Janvier 2017
    Décembre 2016
    Novembre 2016
    Octobre 2016
    Août 2016
    Juillet 2016
    Juin 2016
    Mai 2016
    Avril 2016
    Mars 2016
    Février 2016
    Janvier 2016
    Décembre 2015
    Novembre 2015
    Octobre 2015
    Septembre 2015
    Août 2015
    Juillet 2014

    Photo
    Don
Propulsé par Créez votre propre site Web à l'aide de modèles personnalisables.