Mot valise qui ne veut pas dire grand chose, en somme. On aime pondre des cartes artificielles disant ça c'est bien ça c'est moyen. Juger la "valeur" selon l'échelle du goût ou du dégoût.
Avant de se perdre dans des considérations sur les définitions de chaque mot/concept, je me demande ce qu'on fait de toutes ces "références" culturelles. Je veux dire, quand on achète un foie de bœuf a priori c'est pour le manger. Mais que fait-on de toute cette matière mentale d'avoir regardé toute la série Star Trek ? Attention, je ne me demande pas si c'est "bien ou mal" hein. Je me demande juste ce qu'on fait de tout ce temps passé et de ces références qui restent en tête d'une façon ou d'une autre.
La question est légitime car nous sommes face à une déferlante d'informations en tout genre, dont un accès quasi illimité à des séries, à des films à gros budget, sans parler des vagues de hype sur chaque réseau social à coup impressionnant de milliers ou millions de likes ou "vues" sur une phrase ou une vidéo. Précision encore, la question n'est pas de dire si c'est agréable ou non sur le moment. Comme il y a des gens qui sont connus pour... être connus, il y a des références culturelles qui sont connues pour être connues. Et... qu'en fait-on ?
D'une certaine façon, il y a bien une CONCURRENCE entre "connaitre" la vie de la célébrité Y et connaitre la vie de (disons) proches ou de potentiellement proches. Rappel que notre attention est limitée. L'idée n'est alors pas de choisir entre la référence locale bien réelle et concrète physiquement, géographiquement, émotionnellement en potentiel réciproque, et la référence mondiale. La concurrence n'est pas totale, mais il y a quand même une concurrence entre la culture locale et la culture monde. C'est aussi simple que quand on regarde ou lit une référence mondiale sur un écran ou un papier, on ne peut pas en simultané écouter tel pote, ou tel membre de la famille, etc. Nous n'avons pas le don d'ubiquité malgré notre penchant à tenter d'être multi-tâche en permanence.
La question aussi est : qu'est-ce qu'on avait comme référence culturelle avant l'apparition des médias de masse ? On peut avoir quelques indices avec nos grands parents, mais mêmes eux avaient la radio et les journaux, aka une information massive et descendante pour abreuver la population de tout et... de rien. Medium is message comme on dit. Donc, avant ça, comment on se racontait des histoires ? Probablement très directement. On se raconte des histoires à notre façon, même si cette histoire est connues par des centaines de personnes, on la racontait à notre tour, en se l'appropriant d'une façon ou d'une autre, même quand l'effet n'est pas aussi impressionnant que celui produit pour 30k€. L'échelle de partage est aujourd'hui incomparable. Plus, nous avons tellement de narrations différentes, entre le "travail", la "culture", et autre, que nous n'avons plus à inventer nos histoires. Et quand on raconte nos quotidiens sur des plateformes web, certains ont des milliers de likes et d'autres ont zéro vue. Il faut se rappeler que nous sommes comme si nous émettions de l'information descendante sans vraiment être sûr d'être entendu, et cette situation fait que nous ne sommes pas en situation d'échange potentiellement réciproque comme dans une conversation IRL.
En parallèle à cet article, je songe aux articles sur le WTF et le "self-génératif". Vous trouverez des liens à ce propos. Ah un article que j'avais écris pour le site de Paris Singularity à propos de narration, ou de souveraineté narrative. Sous l'angle du localisme, la narration semble extrêmement importante. Ce n'est pas anodin si on nous bombarde de narrations à grande échelle, y compris pour la pub, pour la politique, pour le roman national ou européen, ou pour le "progrès" mondial.
RELOCALISER LA NARRATION EST IMPORTANT.
Il s'agit d'un problème majeur avec le tout technique aujourd'hui. Combien d'intellos beu-beu bavassent de façon triomphale, en sortant un chiffre et un graphique "ouah nous résolvons tous les problèmes du monde" ! Quand tu remplaces une activité entière par un processus technique remplissant surtout un ou deux objectifs très spécifiques (donc pas forcément plus "rationnels" dans l'ensemble) tu coupes tout possible narratif, toute appropriation narrative de nos activités.
SOUVERAINETÉ NARRATIVE
Maintenant, on pourrait être tenté de refuser toute narration "extérieure". Ce qui serait mal comprendre cet article et toute l'idée de localisme. Le localisme, dont localisme "culturel", n'est pas une autarcie, il s'agit de priorité humaine, ça n'a rien d'idéal, d'utopique, de conceptuel. On est bien dans une ville donc on agit dans cette ville en priorité, comme on va plus facilement échanger avec de la famille et des amis qu'avec des habitants de la Corée du Sud. Beaucoup de grandes "épopées" ou grands mythes de notre histoire sont probablement une agrégation d'histoires locales pour former une méta-histoire. On voit un phénomène de recoupement de références avec les univers marvel et comics. Mais Il est fort à parier que L'Iliade et le christianisme (tous les saints) par exemple sont une agglomération d'histoires locales en un "roman" plus globale qui se veut toujours plus universel en principe. Encore une fois, la question n'est pas d'opposer méta et local, plutôt de se rappeler l'ordre d'importance, se reporter à l'ancrage réel. Il sera vraisemblablement plus NOURRISSANT d'entretenir une amitié locale que d'entretenir une dépendance narrative à une méga-production.
Bon, j'avais déjà réfléchi à la question du localisme, de l'importance de la souveraineté narrative, du rôle des différents médias. Néanmoins, ce qui a motivé cet article a été une référence culturelle américaine, récente, ironiquement. Le film Under The Silver Lake est l'histoire d'un jeune vivant à Los Angeles, acteur en principe mais désœuvré en vrai, qui accumule par défaut les références cinématographiques sans jamais parvenir à y trouver un sens global. Il connait des "classiques" (pop), en musique, en cinéma, en jeux-vidéo, mais se retrouve perdu dans ces cul-de-sac existentiels dirons-nous. Attention, ce qui est valable pour le "culturel" est aussi valable pour la narration politique et économique, avec des conséquences bien concrètes.
La question : Que fait-on de toutes ces références culturelles ?
Parce qu'on pourrait parler du "travail", dans ce qu'on est forcé d'appeler l'inconscient, de toutes ces références. Ces références continuent leur chemin dans nos têtes. Même quand on ne retient rien dans notre conscience, ça continue là-haut. Ce qui occupe de la place, et... pour quoi ? Est-ce que savoir que le méchant de tel méga-production va bien mourir nous enrichit, nous apporte quelque valeur utile ou intéressante ? Ça nous laisse seul ensuite. Tandis qu'une conversation ou une histoire entre proches nous enrichit probablement de fil en fil et ce n'est pas descendant. Je parle de cinéma ici parce que c'est un média qui a des proportions importantes dans notre sujet ici, mais ça concerne aussi le livre et d'autres médias, dont la musique par exemple.
Pour conclure, il convient d'essayer de rétablir un peu d'ancrage local, surtout culturel (pour ce que ça veut dire) car NARRATIF. Dans une flopée, ou plutôt tornade journalière d'informations et de narrations importées, nous en sommes privés de formuler nos propres histoires. Ou alors nos histoires sont vidées de leur substance parce que fades comparées à ces grands romans mondiaux. Cette submersion culturelle nous vide plus que nous apporte. Le pire est peut-être que certains sont à justifier cela en invoquant je ne sais quel argument absurde sur le progrès ou la vertu et la science. NON. Ce n'est pas "la vérité" que de ne plus se raconter aucune histoire. Ce n'est pas "scientifique" ou "rationnel" que de ne plus rien imaginer, que d'être de purs exécutants.
Que fait-on de ces références culturelles ?