A l'orée de cet article, je m'interroge en fait sur l'évolution de notre perception de l'éthique, de ce qui est "éthique". Évidemment, il y a une variation temporelle et géographique sur l'éthique. Songeons au cannibalisme "normal" de certaines tribus auparavant. La peine de mort est toujours d'actualité dans certains pays. Certains parlent du "génocide" des animaux de ferme. On commence à considérer que les arbres et, de façon plus globale, tous les végétaux peuvent être sensibles et ont une vie digne aussi. Est-ce que le fait de manger surtout des vaches et pas des mâles traduit un sexisme espéciste ? On accorde une existence morale à des rivières. Comme on classe et protège quantité de bâtiments et quartiers en France. Le patrimoine immatériel aussi est classé. Puis, des personnes qui s'identifient à un sexe qui n'est pas le leur (transgenre, transexuel), voire à une espèce qui n'est pas la leur (otherkin). Certains sont prêt à considérer d'arrêter toute l'agriculture pour l'extraction de nutriment via exploitation microbienne génétiquement modifiée. Certains tombent amoureux de programmes informatiques. On peut violer par un regard, ou oppresser la gente féminine en augmentant l'angle d'ouverture des jambes quand on est assis. On est raciste en buvant du lait. On pourrait continuer ainsi longtemps. A travers tout cela se dégage une tendance nette à la virtualisation, comme je tentais de l'exposer dans l'article précédent. Mais aussi par là un déplacement des perceptions de l'éthique. Comment fait-on pour se laver les mains face à une épidémie virtuelle ? Une monnaie virtuelle semble basée sur un procédé plus solide que la monnaie étatique. Bref, l'ensemble des filtres élémentaires constituants notre perception s'en retrouve chamboulé. En même temps, il y a une normalisation de l'avortement et de l'auto-stérilisation, on va vers une marchandisation de la reproduction, de la génétique et autre, on utilise toujours plus de pétrole, etc. Il ne faudrait pas aller trop vite en se croyant plus éthique que le passé. Cela me fait penser aux accusations de racisme anachronique. On va chercher des textes, parfois de milliers d'années, et les dévaluer en y voyant du racisme et autres tares-obsessions contemporaines. Autodafé ordinaire.
On fait du sur-mesure pour chaque groupe, caractéristique (sexe, sexualité, identité de genre, origine parfois sur plusieurs générations, religion, etc.) et par là nie les individus, et s'enferme dans des incompatibilités irrémédiables. L'éthique en formation pose aussi des problèmes majeurs car cette éthique part de postulats où le réel serait autre, plastique, pourrait être très différent. Comme s'arrêter de manger de la viande, mais aussi s'arrêter de manger tout court tout "aliment" provenant de l'exploitation du vivant. Ou comme changer de sexe, ce qui ne peut aujourd'hui aboutir qu'à être un entre deux par prothèses chimiques et chirurgicales dont aussi amputation. On devrait aussi ne plus s'habiller, ne plus se déplacer, et peut-être même ne plus exister en terme biologique car ça prend des ressources et de la place, qui (invocation de la rationalité) pourraient être "mieux" utilisées. Et, quelque part, on ne peut pas être en total désaccord avec l'ensemble de ces hypothèses flexibles et plastiques. Il y a un appel à la liberté d'être pour laquelle on ne peut pas être insensible. Bien que souvent ça ne soit qu'une narration étrange d'émancipation fantasmagorique, on ne peut que saluer cette volonté, même si imaginaire en l'état. Une éthique ambitieuse, pourquoi pas ! Mais attention aux effets annexes, connexes, ainsi qu'aux postulats de base. En fait, bien souvent on considère le "construit" comme mauvais par définition, et c'est cela que beaucoup prennent pour postulat de base, ce qui ne l'est pas justement. Cette nouvelle "éthique", qui accordera peut-être aux virus une protection contre l'espècisme d'origine humaine, sera peut-être tout ce qu'il y a de plus normal prochainement, peut-être même qu'elle sera obsolète elle-même devant de nouvelles revendications plus poussées encore (dont certaines - beaucoup ? - ont déjà été émises dans le passé). Encore faudrait-il que les postulats (accessoirement le réel) suivent cette lancée.
Je ne voudrais pas qu'on se retrouve, comme dans le scenario du livre de Stanislas Lem - Le congrès de futurologie, dans une situation de pauvreté et de misère absolue masquée par un apparat chimique qui nous fait croire/voir que tout est comme on veut, au mieux. Un virtuel faux, qui maquille.