Invocation + woowoo + néo-péché
Comme beaucoup de notre quotidien, dans tous les domaines, nous sommes dans l’invocation. On invoque la liberté, le CAC40, la démocratie, la santé, Johnny, l’apocalypse, l’IA, l’amour, etc. Tout est bon à invoquer. A vrai dire, je ne sais pas si dans l’histoire de l’humanité on a autant invoqué qu’aujourd’hui. Et les hauts techniciens, les experts, les scientifiques, les « rationalistes » et consœurs en sont tout autant. Et donc, une partie de la population utilise le terme spiritualité comme un moyen d’invoquer le n’importe quoi, ou plutôt la non-rigueur.
Comme souvent, il y a une bataille sur la connotation de mot. Et celui-ci semble avoir été pris en otage par le woowoo. On invoque la « spiritualité » et alors tout est permis, en gros, les protestations (et même la raison) doivent se taire. En réaction à cela, les représentants de la rigueur semblent invoquer la spiritualité entièrement woowoo avec pour finalité de disqualifier d’avance à peu près tout ce qu’ils veulent. « Oh regarde, il croit ça, uhuh » comme néo-invocation du péché, de la honte. Ce qui est encore plus stupide que le woowoo, car ces personnes sont sensées avoir un bagage intellectuel et une capacité de réflexion importante, qu’ils évitent justement d’utiliser en sombrant dans la paresse, celle de dénigrer a priori. Bon, je suis d’accord qu’on ne peut pas avoir la patience infinie, ni même la volonté de développer une réflexion à tous les coups devant des gugus bornés. S’éviter cela permet une économie énorme et donc se concentrer sur ce qui nous concerne nous directement, plutôt que de se disperser. Tiens, revenons - nous aussi - au cœur de notre article.
Glissement sémantico-cosmique
Il est clair que la spiritualité est vaste. Comme je l’écrivais dans un article sur l’intelligence, il y a un glissement sémantique. Spirituel pouvait signifier simplement « de l’esprit », et pouvait aussi avoir la signification d’intelligence. Et aujourd’hui on a encore un glissement avec la conscience et la sentience, ou encore la sensibilité. Dans un autre article, j’ai aussi tenté de distinguer les notions de spirituel et de psychologique. Ici, je vais aborder la spiritualité principalement sous deux angles principaux : Dieu et la mort. Donc oui, ce sera une définition de la spiritualité flirtant ardemment avec ce qu’on appelle cosmologie ou cosmogonie, aka une « vision » d’ensemble du monde, de l’existant. L’optique est surtout de questionner les présupposées sur lesquelles nous basons nos conceptions (ordinaires), c’est-à-dire non pas de traiter un sujet, mais de nous pencher sur ce qui fonde la façon dont nous traitons un sujet, aka les fondements, la base, le sous-jacent.
MORT
Quand on parle de la vie, du vivant, on a tendance à ne focaliser que sur le contemporain et l’immédiat, le directement visible. Compréhensible, car relatif à notre échelle individuelle d’existence. Néanmoins, la vie est aussi tout ce qui est « passé », ce qui est mort. Quand on y songe, la vie se caractérise plus par la quantité de mort que par la quantité « d’individus » en vie. L’autre jour, me rendant au cimetière sur la tombe familiale, j’eus l’impression, notamment en revenant chez moi, de m’être rendu sur ma propre tombe. Ce n’est pas pour créer un effet littéraire ici, c’était vraiment ma sensation profonde. Depuis, des réflexions s’y sont satellitées. Oui, ça a du sens, ces personnes sont les conditions nécessaires à ma vie, même si actuellement je n’ai plus de relation « vivante » avec elles évidemment. Ce que je veux souligner est que la vie pourrait être vue comme un arbre gigantesque, ou un édifice planétaire grandiose. L’accumulation des morts est l’accumulation des potentiels de la vie, et donc généralement de la vie.
La mort est vécue comme un drame à lisser ou éviter aujourd’hui. C’est presque une honte de s’approcher de la mort, comme un échec. Bien entendu, la mort n’est pas souhaitable, là n’est pas la question. Il s’agit de réaliser la continuité de la vie, au-delà des individus et même des espèces. Avant qu’on m’accuse de bercer dans l’abstrait, j’invoque la réalité bien concrète du sol. Un sol de potager basique est l’accumulation de morts et de vivants entremêlés. Alors, comment considérer la mort ? Est-elle justement un non-évènement ? En effet, pour chaque individu sa mort est sa fin, donc ce n’est pas un évènement au même titre que tomber en amour, ou réussir une entreprise. La mort d’autrui, par contre, peut être un évènement. Est-ce que chaque mort est différente ou alors la mort est monolithique ?
Cela me fait songer qu’autrui peut être soi, d’une certaine façon, et que nous abordons ce « sujet » uniquement sous l’angle du vivant, on pourrait dire vivant-centré. Question de logique, le fait d’être toujours sous le même angle d’analyse nous ampute d’une analyse véridique et plus complète. Ainsi, nous pourrions « voir » la mort non pas comme une fin, ou un non-évènement, mais comme un passage, ou une frontière à sens unique. Vous allez me dire que ces idées n’ont rien de neuf. Certes, je ne prétends pas percer un mystère ici, juste proposer un fleuve de mots relatif à ce que je vis/pense/ressent. Donc, je vous propose d’essayer d’envisager un agrandissement des perspectives, d’essayer de creuser vers une perspective non uniquement vivant-centrée. Faites un raisonnement intellectuel si ça vous chante, ou laissez-vous imprégner par cette idée et laissez-là maturer en vous. Je me permets de réitérer l’idée que nous sommes, quant à ce qu’on appelle la mort, biaisé par l’impossibilité de sortir de notre seule et unique angle de perception possible : le vivant-centré.
On pourrait alors dire qu’il est possible que nous ne soyons pas juste mort, il faudrait préciser mort à quoi. Rapport à nos conditions thermodynamiques d’existence, nous mourrons tous les jours à tel évènement et tel autre phénomène, car le temps est monodirectionnel en ces conditions. On pourrait appliquer les changements d’état de l’eau, de solide à gazeux par exemple, à ce sujet. Ainsi la mort pourrait être un changement d’état. Cette analogie amène l’idée de cycle et donc on atterrie sur l’idée qu’il y ait un retour en nos conditions. Idée qu’on retrouve notamment dans les notions de karma. Mais il s’agit d’un autre débat. Je voudrais rester sur ce changement d’état, ce passage de frontière.
Pendant longtemps, j’ai vu la mort comme quelque chose à fuir, un drame. Et avoir fréquenté un peu les idées longévistes semble avoir d’abord augmenté cette attitude. Néanmoins, je suis depuis beaucoup plus à l’aise avec la mort. L’idée de ma propre mort, mais aussi de la mort de toute chose. Bien entendu, je ne souhaite pas mourir, de la même façon que je ne souhaite pas la mort de quiconque et de quoi que ce soit, en principe abstrait. Il nous faut reconnaitre cependant qu’exister c’est faire mourir, qu’exister c’est une façon de mourir. Ne serait-ce que nos cellules, ou des micro-organismes en respirant et en marchant. Manger, lire, discuter, bref, toutes nos activités nous font mourir nous et d’autres (formes de vie). Notre existence même consiste à mourir. Survivre c’est mourir plus longtemps. Cette perspective peut apparaitre malvenue, néanmoins elle me semble la plus honnête. Revenons sur la mort en tant que frontière. Mort à quoi ? Mort à un plan d’existence qui ne se limite peut-être pas à ce qu’on connait en étant vivant. Cette idée de la possibilité d’une existence en d’autres « plans » ou « dimensions », « conditions » n’est pas là pour nous rassurer. Au contraire, il est possible que considérer la mort comme étant une fin de tout pourrait être l’idée faite pour nous rassurer, car l’inconnu peut s’avérer plus effrayant que le néant.
Bref, pour résumer de manière plus carrée, sous une esthétique formelle moins « fleuve » :
- Le biais indépassable d’être vivant-centré pour parler de la mort.
- Le changement de perspective où la mort n’est pas l’inverse la vie mais sa condition même.
- La possibilité que la mort soit une frontière, un changement d’état.
DIEU
Ce qui me fascine également : le fait de nommer Dieu constitue aussi une folie. Nommer c’est restreindre. Pas que ce soit un affront envers Dieu, mais plutôt derrière cela l’idée que peut-être on adore une idée de Dieu et pas Dieu lui-même, c'est-à-dire une représentation verbale. Qui nous dit qu’en nommant Dieu nous ne créons pas un autre « esprit » ou sous-dieu ? Déjà par le simple fait de lui donner autant de noms différents en fonction de domaines différents. Exemple de Yahvé, Allah, ou dans un domaine moins religieux : l’Univers, ou autres. Comme je le soulignais au sujet de la mort, nous sommes restreint par notre angle de perception voire d’existence, et ici chacun restreint sa notion du « Tout » à son propre domaine. De manière fractale, une star peut être dieu pour un athée fan de cette star, ou pour une autre personne atteindre un objectif suprême dans la vie peut aussi s’apparenter à parler de/avec Dieu.
Il s’agit d’ailleurs ici d’un point que peu de gens capte, que tous ces sous-dieux ne sont pas en compétition avec Dieu, car Dieu est selon nos concepts actuels le point le plus abstrait et le plus élevé qu’il soit possible d’atteindre. Si Dieu est tout, alors il est aussi l’individu disant ne pas y « croire ». Question de classement logique. Dieu contient toutes ses appellations, et n’est a priori pas dépendant d’une seule appellation et d’une tradition, ou domaine d’étude spécifique. Pour essayer de traiter de ce sujet encore, j’aimerais invoquer le très concret corps humain.
Techniquement nous sommes d’abord des cellules, mais on a différents niveaux d’organisations, des échelles d’existences interpénétrées et inter-reliées. Un organe comme le foie est composé de cellules, il a sa propre existence mais il est en même temps dépendant de toute la structure, d’autres organes, de chaque cellule, des sources d’énergie externe, etc. Est-ce que la cellule a conscience, ou pour utiliser un mot plus doux aux yeux de certains, est capable de percevoir ou « sentir » qu’elle fait partie d’un organisme entier « supérieur » ? Voilà, j’utilise cet exemple très concret pour pouvoir l’appliquer à la question de Dieu. En quoi serait-ce impossible que notre existence soit dépendante d’êtres qui nous sont invisibles, imperceptibles à notre échelle ? En quoi ces êtres pourraient eux aussi faire partie d’un plus grand ensemble qu’on nommerait, par facilité intellectuelle, Dieu ? Cela commence à se reconnaitre de plus en plus, malgré la frontière stricte de nos corps, nous sommes traversés et constitués de micro-organismes en permanence, nous mangeons et excrétons d’autres êtres.
Parfois, des croyants peuvent reprocher les « plans » de Dieu, et des athéistes, ou plutôt anti-théistes, dire que si Dieu existait il serait un sacré pervers. Ce à quoi j’invoque le jardinage. Je suis jardinier amateur depuis plusieurs années et j’essaie d’être le plus respectueux de chaque plante (et petits animaux, et mycètes), néanmoins je suis obligé de « réguler », sinon telle plante prendrait toute la place, sinon les limaces mangeraient tous mes semis, etc. Quand je fais le jardin, j’ai en tête - en main surtout - l’ensemble et pas seulement une espèce, même si je suis fan de tel et tel être (disons un plant de pavot suprême) en particulier. Si j’arrache un pissenlit ou une giroflée ce n’est pas contre eux mais pour l’ensemble. Il est possible que ce soit proche ou similaire concernant Dieu et le vivant, à supposer que Dieu observe et agisse sur notre monde en permanence et n’ai pas « autre chose à faire ». Et même si il était la source de « souffrance » et de destruction du monde dans lequel nous vivons, qui nous dit que cette souffrance n’est pas en soi une manière de communiquer ? Par extension, qui nous dit que toute notre existence n’est pas en soi une communication ? L’entité nommée Dieu compose peut-être avec un nombre inimaginable de critères, il fait au mieux à partir de tout cela.