"Les chiffres parlent d'eux-mêmes !"
Les chiffres donnent donc une opportunité exceptionnelle pour la spéculation tout azimut. Assez tôt, quelques individus avaient saisit cela et l'utilisaient aussi pour la spéculation poétique, spirituelle, dont elle est d'ailleurs peut-être issue. Cela est assez perceptible dans la Bible, où chaque nombre donné est plus symbolique que purement "quantitatif". La spécialisation du chiffre au quantitatif seul, du moins dans les principes annoncés, est venue par l'idée de progrès humain, avec la notion de purement utilitaire, l'utilitarisme. Nous voyons qu'il est donc aisé que les humains aient été conquis par ces outils de spéculation extrême. Le chiffre provoque une telle fascination sur nos esprits qu'il est l'invocation suprême presque, tellement il isole pour comprendre une réalité, et est synthétique. Il n'est pas surprenant que nous ayons usé et abusé de ce système de valeurs, ni que nous l'associons à une objectivité. Car dans l'idée des sciences notamment, ce qui est le plus abstrait dans la forme est ce qui est le plus objectif. Dire "il y a des coquelicots" est a priori moins précis que de dire "il y a cinq coquelicots". Le chiffre fixe, ou donne à penser qu'il y a une vraie fixation/description du réel par lui. Plus que le verbal des lettres. On a complètement occulté la nature d'outil de ce système pour dire qu'il est le seul à même de décrire le monde et d'agir sur le monde. Car, oui, la quantification ne se réduit pas à une spéculation sans conséquences. Elle a des applications bien concrètes, comme toute chose d'ailleurs, plus ou moins directement. Même dans ces applications concrètes, il faut bien retraduire ces chiffres en du non-papier, non spéculatif, de la matière. En ce sens, nous voyons bien que nous divinisons un outil.
De nos jours, nous invoquons les chiffres pour absolument tout. A l'échelle de populations entières, nous aimons pouvoir les décrire avec des chiffres, c'est l'art de la statistique. Toujours avec cette prétention toujours implicite d'objectivité. Chiffre = objectif = précis = puissance = maitrise = rationnel. Autant d'associations d'idées qu'il convient de méditer. Avec cette capacité à l'abstraction, les chiffres nous donnent la possibilité de simulation sur de l'invisible, sur ce qui nous est a priori inaccessible sans. Cette capacité est une bénédiction sur ce fait, mais s'accompagne aussi d'un aspect extrêmement manipulable. On ne peut jamais aussi bien mentir qu'avec des chiffres. Mais on a peur de rejeter un chiffre, car le chiffre a cet effet puissant immédiat sur nous, et l'obtention du chiffre peut dissuader par la complexité formelle de tout un système de spéculation qu'on appelle mathématiques de le remettre en question.
La quantification, c'est par exemple la monnaie, qui est une création récente, surtout en cette application massive. C'est aussi le temps par la mesure du temps, les horloges partout. Tout est mesuré en permanence. On peut se poser la question de la pertinence de tout mesurer. Et aussi d'à quoi ils servent comme excuse à des idéologies et comportements inappropriés. On le voit bien dans le domaine du travail actuellement, toutes les pressions sont quasiment justifiées par le temps et la monnaie. En fait, que ce soit le temps ou la monnaie importe peu, ce qui importe ici est d'invoquer deux quantifications, posées comme objectives, rationnelles, légitimes, etc. Posez-vous la question, faire une balade peut juste être faire une balade. Mais vous pouvez aussi dire avoir marché 6,2km et brulé X calories sous un indice UV X et un rythmes cardiaque moyen X. Posez-vous la question de la pertinence réelle de ces quantifications. Cela parait aisément infantile et absurde pour une simple balade, mais c'est parfaitement le cas pour toute chose, y compris le très sérieux monde du travail, ou l'économie ou la sécurité sanitaire, etc.
La quantification peut s'avérer un outil précis, précieux, puissant. Mais cela ne veut pas dire que dès qu'il y a quantification cela est signe de précision, de puissance, d'objectivité, et autres, ni que le recours à la quantification est utile et pertinent. Il s'agit d'un outil et pas d'une réalité entière, il s'agit d'un outil partiel pouvant saisir partiellement une partie de la réalité. Le système numérique est puissant par sa concision formelle, et on peut utiliser un formalisme extrême sur cette base. Ce qui peut donner plus de portée sur la compréhension partielle du monde, mais aussi plus de portée à dire n'importe quoi de façon très complexe. Le formalisme des opérations numériques peut agir comme une arme de dissuasion, une arme d'agression massive (dilution des frais dans la masse), une arme de mensonge inégalée (statistique). Le mensonge est de l'occultisme, ni plus ni moins. La quantification est une part du verbal, et à ce titre elle est d'essence métaphorique.
La quantification a cela de bien que de proposer des unités communes afin de donner un espace commun où se retrouver. Elle peut être comme un pont, tout comme chaque mot peut être un lien... ou un mensonge. Un indicateur commun permet de comparer des choses qui en principe ne sont pas vraiment comparables. Dans l'absolu, une carotte n'est pas une escalope de veau. Mais par différents indicateurs uniformes et communs, standards, nous pouvons les comparer. Par exemple, par le prix, ou le poids, ou le volume, etc. Ce sont des quantifications précises, mais ne disant pas tout des carottes et des escalopes de veau. La quantification n'annule pas la différence des choses, elle permet de les comparer afin justement de les distinguer. De manière pratique, on peut plus facilement sortir du troc. On n'a pas à essayer de troquer des carottes contre des escalopes. On passe par la traduction numérique, en poids ou en prix qu'importe du moment qu'il y a un indexe commun, standard, pour l'échange. Bref, ce qu'il faut retenir, je pense est que la quantification est une traduction. Et on sait que la traduction a des côtés positifs et des côtés négatifs. La quantification n'a rien de spécifique là-dessus, il s'agit simplement d'une traduction.