Souvent, quand on aborde la question de l'expert, on invoque par là la dichotomie expert versus non-expert. Ce qui pose problème, car cela laisse penser qu'il y a d'un côté des gens qui savent et les seuls qui puissent savoir, et tout le reste qui est ignorant et ne peut détenir aucun savoir, est absolument incapable de développer du savoir. A vrai dire, il n'y a dans cette présentation usuelle aucun rapport direct avec la question du savoir. Il s'agit surtout d'une narration politique faisant dire et approuver qu'il y a des gens qui ont le pouvoir et d'autres qui ne l'ont pas et ne peuvent pas l'avoir. Il s'agit d'une lutte et non d'une recherche commune. C'est à dire que l'on déplace le centre du sujet. Le sujet n'est plus la connaissance mais le pouvoir. Qui a le pouvoir ou la légitimité ? En fait, on pense que l'expert est une chose différente de la politique, du matériel, de la force physique, mais la connaissance obéit quasiment aux mêmes travers. Guerre de territorialité en somme. On peut bien reconnaître que certains sont plus forts physiquement, ou pour construire ou réparer telle et telle chose, pour réfléchir, et autres capacités spécialisées. Mais de là à dire que c'est le plus fort physiquement qui peut faire le plus de choses, c'est très marginalement vrai. David contre Goliath. La force collective, la force des circonstances, d'autres caractéristiques jusqu'à lors ignorées ou oubliées. On en arrive aujourd'hui à faire venir dans les médias mais aussi dans toute la recherche, des guerres de géants. Qui aura le plus gros poids lourd de la discipline ? Ultimement on utilise un poids lourd d'une discipline comme symbole de puissance d'un camp sur l'autre. Il a plus de diplômes, plus de publications, plus de livres lus, plus de temps de parole, plus de monnaie, donc c'est mon camps qui est plus fort, par association. Le rôle de l'expert est consultatif, rien de plus. Toute prétention au delà de ces limites fait tomber dans une fausse lutte superficielle de territoire. L'expert est flatté de l'attention qu'on peut lui porter car il est un spécialiste dans son coin. Donc il est facilement flatté et il compense son isolation par spécialisation en ayant parfois un comportement de petit roi sur son domaine. Je n'ai pas grand chose mais sur ça, je suis roi, donc t'as intérêt à m'écouter. En fait, l'expert est dans une posture d'humilité normalement, il sait qu'il est perpétuellement en recherche, à son niveau, qu'il développe une spécialisation par dessus cela. Aujourd'hui, on veut nous faire suivre aveuglément des gens, des propos, sur le simple fait qu'ils sont experts. C'est un appel à l'autorité, on met en avant le statut avant la connaissance elle-même. Inversion des valeurs. Par ce procédé, l'appel systématique à l'expert, on dévoie toute la valeur de la spécialisation. On connaît tous ce phénomène où étant tellement concentré dans une chose, on en oublie des points essentiels. Et bien c'est le commun de la figure de l'expert. Dire cela n'est pas critiquer toute forme d'expertise, qui peut être réelle, mais bien reconnaître les limites inhérentes à la base de toute démarche d'expertise. Sacraliser l'expert est tomber dans l'idolâtrie et décentre le sujet de la connaissance vers le pouvoir. Bref, on en fait une figure vide. On ne peut pas se plaindre après cela que beaucoup de gens aient du mal à respecter les experts, car on passe notre temps à faire de l'expert quelque chose qu'il n'est pas.
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