Faisons simple. Il semble y avoir eu une brèche pour la supériorité de l'émotion sur la raison, dans nos sociétés, depuis quelques temps. Déjà, soulignons la dichotomie émotion/raison, qui, si il faut bien distinguer quelques éléments, est une séparation arbitraire pas très juste. En quoi, elle ne serait pas juste ? Elle fait penser à une alternative soit-soit, un OU strictement exclusif. On a voulu diriger par la raison pendant quelques temps, avec des succès techniques et matériels certaines. De même que le verbal a été le média par excellence de toute découverte et transmission. Mais il a comme fallu s'échapper de cette primauté de la raison et du verbal pour s'émanciper. On n'a jamais autant écrit qu'aujourd'hui, et pourtant les mots semblent n'avoir plus aucun sens. On n'a jamais fait autant de science, et pourtant la science et plus globalement la réflexion logique semble être dévoyée. Évidemment que des entreprises rationnelles sont toujours motivées par des ressorts qui sont au final d'ordre autre, dont émotionnel. L'embêtant de cette situation est ce glissement où l'on dit en substance que l'émotion prime sur tout, est supérieure, plus vraie, plus authentique, plus palpable, plus proche de la vérité. Quand une ministre de la justice dit qu'il faut réagir à l'émotion de quelques milliers de personne, c'est assez outrageant et absurde. Quand les plus hauts représentants de pays appellent à idolâtrer des étrangers, dont des criminels, c'est assez stupéfiant aussi. C'est l'émotion reine. Des gens qui ne maitrisent plus leurs émotions. Une incontinence émotionnelle. Il faut se poser des questions. Est-ce que ce qu'on appelle l'émotion est forcément supérieur à la raison ? Est-ce que la raison serait un "biais" ?
Observons ce basculement. Il n'y a plus une température de 20°C, il y a un ressenti de 14°C. La musique dite aujourd'hui classique est le summum d'un point de vu technique, artistique, musical, mais on appelle aussi musique des sons très bêtes et des paroles très bêtes qui n'ont aucun intérêt, hormis pour certains, beaucoup parfois, d'ordre émotionnel. Si on ose remettre en cause cette hiérarchie émotionnelle, on va passer pour des vilains méchants, avec des noms d'oiseaux comme élitiste, condescendant, nazi, etc. Il est presque impensable de reconnaitre la supériorité d'un élément sur un autre en tant que tel, seulement l'émotionnel est accepté. On a donc 50 nances de gri en tête des ventes devant tous les véritables chefs-d’œuvres de la littérature. On célèbre des gens qui disent qu'ils sont les plus riches et les plus puissants du monde en faisant des cris sur trois notes de musique. Ce que je veux pointer du doigt donc est ce glissement médiatique et aussi de la raison reine à l'émotion totalitaire. On abouti comme pour les enfants à valoriser des créations nulles juste pour se soumettre à la "sensibilité" de chacun, pour éviter de froisser les plus fragiles. Si on peut comprendre l'attitude envers des enfants, pour ne pas trop les brusquer, pour des adultes, c'est assez pathétique. Le tout rationnel a été un peu naïf parfois, et a fait de grande erreur. Enfin, il ne s'agit pas vraiment de "tout" rationnel, mais de rationnel prioritaire, directeur. Exemple du QI, mesurer l'intelligence, sans savoir la définir au préalable. Réponse à cela, certains parlaient de QE, pour quotient émotionnel. Alors là, je ne sais pas comment s'en sortir pour définir quoi que ce soit, et encore moins mesurer.
On a vu émerger des idées de "comité de sensibilité" où il s'agissait de censurer pour rendre acceptable selon des minorités, voire des très petites minorités, une œuvre originale qui pouvait les rendre fous. On regarde une série en version originale, mais on accepte en même temps de repasser l’œuvre pour la "sensibilité". Des personnes font des fixations sur des "origines" étrangères tout en souhaitant supprimer des origines. Logiquement, il y a quelque chose qui ne va pas là. Mais comme nous ne sommes plus dans la logique, tout est ok a priori. Au comité de sensibilité succède les attentes à la contextualisation. D'un coup il faudrait contextualiser, ce qui peut vouloir dire supprimer. L'avantage de ce nouveau paradigme émotionnel est que quand c'est une bonne émotion c'est bien, mais quand c'est une mauvaise émotion, c'est mal. C'est à dire que l'invasion européenne actuelle est reléguée à un vague ressenti, de même que le rejet d'une religion surtout depuis des attentats slamiques est aussi une simple émotion, mais mauvaise. Le changement dans la musique est assez symbolique. Justement parce que la musique, via surtout la technologie, a permis d'exploiter un nouveau média d'expression, facilement accessible, c'est à dire on compte sur la décharge rapide, plutôt que la construction. D'ailleurs, le vocabulaire sociologisé actuel parle souvent de déconstruction. Curieusement l'inverse de la contextualisation. Le contexte est la continuité, la filiation. La déconstruction est la rupture, la disruption, le ici tout maintenant, sans passé et sans futur car ce serait oppressif selon cette narration. L'écrit est le média dominant des connaissance, notamment grâce à la mémoire externe, cad l'écrit. La musique n'avait pas cela, c'était simplement la transmission de personne en personne. Mais depuis l'enregistrement et le stockage externe, la musique peut devenir un média d'expression. La vidéo suit le même chemin avec le fameux tic toc actuel.
J'espère avoir réussi à peu près à transmettre, à travers cet article, l'idée de basculement dans l'émotionnel, accompagné ou provoqué par un changement médiatique et donc technologique. Qu'on puisse petit à petit, personne par personne, revenir à un peu de contenance, redresser des perspectives, renouer avec un minimum de logique posée.