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Eugénisme

4/3/2019

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Étymologie

Tout d’abord, succincte étymologie. Eu-génique signifie « bien-naître », c'est-à-dire l’art et/ou la science de « bien » naître. Curieux rapprochement, pertinent néanmoins, le mot eu-thanasie signifie « bien » mourir. Maintenant il me semble opportun de distinguer l’eugénique de l’eugénisme. Le suffixe -isme induit l’idée de systématisation, d’idéologie. L’eugénique, donc, tend à n’être qu’une étude et à n’être aucunement prédictif, ni prescriptif. L’eugén-isme, lui, réfère davantage à une volonté de diriger, d’agir pour « bien » naître. D’intuition, on flaire que l’adjectif « bien »  est ambiguë. La notion revêt en effet un aspect moral. Que signifie « bien » ? Est-ce que cela veut dire sans souffrance, ou « normal » ? Si oui, selon quel(s) critère(s) et selon qui ?

Signification

Aujourd’hui peu de gens savent ce qu’est l’eugénisme, et quand ils connaissent le mot, beaucoup sont ceux qui l’emploient à mauvais escient. L’eugénisme semble une sorte d’insulte ou d’accusation sous-jacente d’être promoteur de l’horreur humaine. En effet, parler d’eugénisme c’est invoquer le spectre nazi. Légitime, d’une certaine façon, mais aussi trompeur. Légitime car l’eugénisme a pris sa forme la plus extrême, radicale et directe sous le régime centralisé militaire des nazis. Voilà, on revient au fait que l’eugénisme est une systématisation de certaines idées et comportements eugéniques. Trompeur car l’eugénisme ne se réduit absolument pas à cette manifestation historique que… je ne saurais qualifier. L’eugénisme n’est donc pas synonyme de nazi.

sélection et degré

En quoi consiste l’eugénisme, alors ? Il s’agit d’une sélection, sur des critères essentiellement esthétiques (au sens large, l’esthétique est tout ce qui est jugé) à propos de la naissance. Cette sélection peut être consciente ou inconsciente, avec un objectif précis ou non, focaliser sur une échelle individuelle/familiale ou une échelle populationnelle/nationale. Cette sélection peut passer par différents moyens : génétique, comportemental, culturel, économique, social, environnemental, etc. Une définition très brève est difficile. Peut-on ne pas être eugéniste ? Non, c’est impossible. Car les instincts mêmes les plus élémentaires sélectionnent pour nous ceci et cela. Oui, l’eugénisme ce n’est pas que l’action technique, médicale, c’est aussi nos petits choix anodins du quotidien. Néanmoins, on peut être eugéniste à des degrés différents. Au plus on systématise une idée, un comportement, au plus on monte le degré de l’eugénisme pour lequel on est « responsable ». Nous devons reconnaitre que la majeure partie reste inconsciente. Mais, si on promulgue des lois ou incite/force autrui à faire ceci-cela, alors on monte le degré d’eugénisme. Chacun y va de sa vision de comment concevoir un enfant, comment l’élever, comment vivre, comment travailler, comment s’amuser, etc. Et tous ces choix, conscients ou non, conditionnent les naissances qui suivront. Ce qui s’en suit est que la visibilité du résultat de cette suite d’eugénismes est très mauvaise. On ne peut pas prévoir. Alors que, paradoxalement, les plus fervents eugénistes théoriques sont partis de l’idée qu’il était parfaitement possible de contrôler les naissances. On croyait en une très forte hérédité et une quasi absence de variation spontanée, autrement dit un effet linéaire à une action linéaire (voir l’article sur l’hormèse). Et, aujourd’hui, beaucoup semblent encore se reposer sur une vision fixiste, génétique ou autre.

Histoire(s) et planification

Comment se sont traduites les politiques eugénistes dans l’histoire ? Suppression de populations entières comme ce fut tenté avec les juifs et tziganes sous le nazisme par exemple. Stérilisation de personnes jugées « à risque », sur des critères toujours très esthétiques et qu’on prendrait pour vraiment stupides aujourd’hui, souvent liés à une idée d’hérédité forte. Par exemple la myopie a pu être un critère suffisant à la stérilisation. Mais il y aussi eu la sélection inverse, c'est-à-dire essayer de multiplier les chances par le nombre d’avoir une nation de blonds, grands aux yeux bleus par exemple, en organisant des instituts de naissance, mais aussi par des voies plus sournoises comme des incitations financières, sociales, etc. Oui, des politiques économiques peuvent être parfaitement eugénistes. Aujourd’hui la détection de trisomie avant la naissance peut donner lieu à des avortements quasi systématiques. D’ailleurs, toute forme d’avortement est un eugénisme, de même que la GPA (gestation pour autrui) et la PMA (procréation médicalement assistée). Médicalement donc, tous les outils de détection de certains critères peuvent donner lieu à des sélections qui sont un eugénisme, parce que la détection donne le savoir, donc l’envie de changer ceci ou favoriser cela. Plus loin, tous les outils qui permettent de modifier/moduler tel et tel critère sont à encore plus forte raison un eugénisme.

On pense facilement à la modification génétique, mais ça peut prendre des voies plus tortueuses comme le fait de congeler du sperme et de le vendre. Exemple d’une société danoise qui vend énormément de sperme de blond aux yeux bleus, surtout aux États-Unis et en Angleterre. Personne n’a planifié ce phénomène, mais il y a un ensemble de pressions sociales et d’imaginaires plus ou moins libres qui forcent les gens à s’orienter vers des décisions similaires sans consultation entre eux, ni planification par un organe politique centralisé. Il y a aussi un marché pour le sperme de haut QI ou prix Nobel, pensant que ça augmente significativement les chances d’avoir un enfant « intelligent » (pour ce que ça veut dire). En Chine et en Inde il y a un déficit en fille/femme car divers facteurs socio-économiques et politiques ont conduit à se débarrasser des filles. De l’eugénisme mi-organisé, mi spontané mais en quelque sorte involontaire et surtout stupide.

Ambigüité multiple

L’eugénisme n’est pas un gros mot. Pas une insulte non plus, car, comme on l’a exprimé plus haut, on est forcément tous dans une forme d’eugénisme, la « Nature » la première. La seule différence demeure dans le degré d’eugénisme, le degré de systémisation, ainsi que l’échelle à laquelle il est appliqué. L’eugénisme a de tout temps existé, le mot et son acceptation commune aujourd’hui, eux, sont plus récents. Un élément primordial à souligner est à quel point les idées eugénistes étaient répandues dans toute la société, et non pas, comme on voudrait convenablement le penser, le fait de quelques théoriciens et savants trop enthousiastes. Les autorités et pouvoirs ont juste systématisé ces désirs collectifs, et ça a donné des horreurs dont le pic fut le nazisme. Depuis, on a honte de revendiquer la moindre once d’eugénisme, alors que paradoxalement, de manières beaucoup plus détournées et moins frontal/littéral, il est possible qu’on ne l’ait jamais autant été. Par exemple, beaucoup des dites « sciences humaines » œuvrent pour établir involontairement les formes d’eugénisme les plus sournoises. Le politiquement correct est un eugénisme, l’économisme aussi, toute forme de censure et pire encore d’autocensure sont des eugénismes pervers.

Aujourd’hui, on juge notre époque avoir fait des « progrès » - de façon bêtement linéaire - et on se pense loin de toute absurdité horrifique… ce qui cache justement l’état des choses. Si demain on regardait dans le retro notre époque, on serait interloqué : comment a-t-on pu individuellement et collectivement supporter de répandre des âneries et sélections aussi cruelles ? Aussi, il y a des formes d’eugénisme qui peuvent faire grincer, car très ambigües. Le recours à une PMA,  par exemple, concernant un couple ayant des difficultés à enfanter s’avère impossible à condamner (moralement… pour ce que ça veut dire), mais la PMA est une technique qui n’est pas utilisée uniquement dans ce type de situation. Et alors, suivant l’accélération technologique classique, ces techniques seront vraisemblablement toujours plus accessibles et pointues, et donc les déviations potentiellement toujours plus nombreuses. De même, l’homosexualité peut être vue comme une forme d’eugénisme aussi, quand bien même ça sonne choquant d’écrire/lire ça. Les stérilisations diverses, y compris celles dites volontaires, pareils. L’intellectualisme aussi. Ce qui ne veut pas dire que ce soit « mal » ou qu’il faille interdire ceci cela, non, du tout. Mais il faut savoir être honnête et voir les choses en face. Répétons-le, l’eugénisme n’est pas un mal, ni un gros mot.

Pressions et normalité

La végémania est clairement un moyen de castration hormonale de masse, imposé par une minorité qui veut répandre ses idées sur le monde, correspondant donc au pire de l’eugénisme, car échelle énorme, systématisation, pression sociale, morale, économique et politique, tous les moyens de coercition sont de la partie. Certains discours écolos sont aussi clairement eugénistes où on dit par exemple que chaque naissance est une plaie "pour la planète". On pense souvent à l’eugénisme par la génétique, séquençage génétique abusive et privative, crispr cas-9, ou encore à la sélection par l’habilité numérique, mais il est possible que les plus grands périls eugéniques viennent d’autres secteurs. A travers ces exemples, on voit que l’eugénisme renvoie au concept de « bien » comme on l’a vu en tout début d’article, mais aussi au « normal » et donc au « moyen ». La moyenne est une obsession apparue avec le chiffrage, la mesure de tout, et semble exacerber nos tendances au concept d’oppression stupide qu’est le normal. Cette normalité n’existe pas mais est un fantasme persistant, elle nous conduit à la censure sur quantité de plans existentiels, et donc à encourager la médiocrité car être supérieur, trop supérieur semble être devenue socio-politiquement incorrect.

Se reproduire : liberté

La question de l’eugénisme concerne d’abord la possibilité pour tout individu de se perpétuer lui-même, à travers l’espace économique, social, physique, environnemental, culturel, familiale, etc. Puis à travers ces conditions fluctuantes, se « reproduire » biologiquement. Il semble y avoir un déplacement avec l’augmentation de la longévité. On semble privilégier de plus en plus sa propre reproduction (de « personnalité » périphérique) à la reproduction de « ses gènes » et donc de l’espèce. On semble créer un « self-génératif », ce que certains appelleraient narcissisme, devant la disponibilité aux autres dont sa famille, ses proches. Car l’attention est une ressource nécessaire, tout ce qui prive l’attention trop systématiquement et massivement est un eugénisme pervers. Rappelons enfin que nous sommes dans un environnement en dynamique écologique et non pas sur un plateau aux phénomènes linéaires. Donc la quasi-totalité des recettes eugénistes sont vouées à l’échec.

Pour terminer cet article sur une perspective historique, il fut de coutume de balancer des bébés non voulus ou difformes. Ce qui nous parait barbarie suprême aujourd’hui, mais qui pouvait être un comportement qu’on pourrait qualifier d’instinctivement  « rationnel » en rapport aux conditions, sachant que de toute façon quantité d’enfant mourraient jeunes avant les vaccins et les améliorations hygiéniques de ces derniers siècles. Et enfin, pour souligner l’ambigüité de l’eugénisme, les vaccins et l’hygiène sont aussi un eugénisme car ils permettent de faire vivre des individus qui a priori seraient mort en conditions… « normales ». Ce qu’on « gagne » d’un côté semble se perdre d’un autre côté. Mais la question morale de l’eugénisme n’est pas le gain/perte rapport à un objectif précis. Il s’agit de savoir (et surtout assumer !) ce que nos choix et orientations diverses engendrent comme effets connexes à celui visé : souffrances inutiles, augmentations de coûts, cruautés gratuites, croyances stupides, etc.
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